Grille des loyers à Bruxelles : une mesure équilibrée ou un frein à l’investissement ?

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Laureline Bragard ✍️

Laureline Bragard ✍️

Experte Immo' à Bruxelles

Depuis le 1er mai, la grille indicative des loyers à Bruxelles a franchi une nouvelle étape : elle devient partiellement contraignante. Une évolution saluée par certains, mais qui inquiète de nombreux acteurs du marché immobilier. On fait le point.

Une réforme pour lutter contre les loyers abusifs

Fonds propres

Depuis le 1er mai 2025, la Région de Bruxelles-Capitale a mis en place une nouvelle grille des loyers dite "indicativo-contraignante". L’objectif affiché est clair : lutter contre les loyers abusifs en offrant un cadre plus juste pour les locataires.

Concrètement, la grille fournit une fourchette de prix de location par quartier, calculée selon plusieurs critères : localisation, superficie, état du bien, performance énergétique (PEB), équipements, etc.

Si cette grille était auparavant purement indicative, elle est désormais opposable : les locataires peuvent s’en servir pour demander une révision de leur loyer si celui-ci dépasse les valeurs recommandées.

Avantages de la mesure

  1. Protection des locataires :
    En encadrant les loyers, la Région souhaite offrir une meilleure accessibilité au logement pour les catégories de population moins aisées, en particulier celles à la recherche de loyers situés dans la tranche inférieure du marché.

  2. Outil de transparence :
    La grille apporte une plus grande lisibilité du marché. Les candidats-locataires peuvent comparer les loyers pratiqués avec ceux jugés “justes” selon les caractéristiques du bien.

  3. Stimulation de la rénovation :
    Le niveau du loyer autorisé dépend aussi de la qualité énergétique du bien. Cela pourrait inciter les propriétaires à améliorer leurs logements, en particulier au niveau du PEB.

Limites de la mesure

  1. Méconnaissance du terrain :
    De nombreux professionnels pointent du doigt une grille trop rigide, qui ne prend pas toujours en compte la valeur réelle du marché ou les spécificités d’un bien.

  2. Risque de standardisation :
    En basant la fixation du loyer sur des critères techniques, on peut gommer la valeur émotionnelle ou subjective d’un bien (vue exceptionnelle, cachet unique, etc.).

  3. Blocage potentiel des projets :
    La peur de ne pas pouvoir fixer un loyer librement pourrait refroidir les investisseurs, en particulier dans les quartiers à fort potentiel de développement.

  4. Effet boomerang :

    Certains experts craignent un effet boomerang, si la grille empêche de rentabiliser certains travaux, les investisseurs risquent de ne plus entretenir ou rénover les logements… sauf si c’est légalement obligatoire... ce qui mènerait à grande échelle une dégradation progressive du parc immobiliers bruxellois.

Prenons un appartement de 70 m² situé dans le quartier Dansaert. Si l’on souhaite faire passer ce bien d’un PEB E à un PEB C, la grille officielle (via l’outil Loyer.Brussels) indique un gain de loyer d’environ 65 €/mois. Or, une rénovation énergétique coûte en moyenne 150 à 350 €/m². En prenant une base médiane de 250 €/m², cela représente 17.500 € d’investissement. Il faudrait donc environ 22,5 ans pour amortir ces travaux, uniquement via ce surplus de loyer, en partant du principe que le bien est loué 100 % du temps, sans vacance locative. Ce qui est, bien sûr, irréaliste.

Dans ce contexte, la question est légitime : quel investisseur rationnel acceptera de mobiliser autant de capital pour un retour aussi lointain, incertain, et encadré ?

Conséquences sur le marché immobilier bruxellois

Crédit bullet

L’une des premières conséquences observées depuis l’introduction de la grille des loyers est le découragement croissant des investisseurs. Plusieurs indicateurs témoignent d’un net recul de l’investissement locatif à Bruxelles. Face aux contraintes imposées par la nouvelle régulation, de nombreux propriétaires préfèrent désormais vendre leur bien plutôt que de le mettre en location dans un cadre devenu plus restrictif.

Cette tendance contribue à une diminution progressive du nombre de logements disponibles à la location. Une part significative de biens pourrait ainsi quitter le marché locatif, ce qui ne ferait qu'aggraver la pénurie d’offre, particulièrement dans les segments de logements abordables ou intermédiaires.

Ce phénomène engendre un effet paradoxal. Alors que la grille des loyers vise à réguler les prix pour les rendre plus justes, elle risque au contraire de réduire l’offre, et donc, de faire augmenter les loyers pour les biens qui resteront disponibles, notamment ceux non soumis à la grille. En cherchant à corriger une dérive, la mesure pourrait involontairement accentuer les tensions existantes sur le marché.

Comment réagir en tant que professionnel de l’immobilier ?

Face à l’évolution du cadre réglementaire, le rôle de l’agent immobilier devient plus stratégique que jamais. Il ne s’agit plus seulement de trouver un locataire : il faut désormais accompagner les bailleurs dans la compréhension, l’interprétation et l’application de la nouvelle grille des loyers. Cela implique de maîtriser précisément ce que la grille prend — ou ne prend pas — en compte, afin d’expliquer, justifier et défendre un loyer cohérent. Certains éléments, comme des finitions haut de gamme, une vue exceptionnelle, le charme de l’ancien ou des prestations uniques, peuvent légitimement justifier un loyer supérieur à celui indiqué par la grille. Le professionnel doit être capable de valoriser ces atouts, d’anticiper les objections et de rassurer à la fois les propriétaires et les locataires sur la légitimité du montant demandé. C’est cette capacité à allier connaissance réglementaire et expertise terrain qui fera toute la différence dans le contexte actuel.

Par ailleurs, dans un contexte où la rentabilité locative devient plus complexe, il est essentiel de conseiller les investisseurs dès l’achat. Cela signifie les aider à évaluer le potentiel locatif réel d’un bien, à intégrer les contraintes de la grille dans leur prévisionnel, à identifier les opportunités qui restent viables et à valoriser les leviers disponibles pour maximiser la rentabilité de l'investisseur malgré les contraintes en vigueur. Un accompagnement pertinent peut faire toute la différence pour sécuriser un investissement, optimiser le rendement et rassurer les acheteurs potentiels dans leurs choix.

Conclusion : réguler, oui. Freiner l’offre, non.

Personne ne conteste l’importance de lutter contre les abus et d’offrir aux locataires un cadre plus équitable. L’intention politique est claire : rééquilibrer un marché locatif devenu inaccessible pour une partie de la population. Mais une réforme bien intentionnée ne suffit pas si son implémentation est bancale.

Au-delà des effets sur l’investissement et la rénovation, un autre problème de fond émerge : celui de l’écart entre l’intention et l’impact concret. Si la mesure vise à protéger les locataires les plus précaires, la réalité des chiffres est plus nuancée : dans 75 % des cas déjà traités par la Commission paritaire locative, la demande du locataire a été jugée infondée, non prioritaire ou rejetée. Une donnée qui peut rassurer les propriétaires quant à la neutralité du dispositif… mais qui révèle surtout que les profils réellement vulnérables n’activent pas la procédure.

Car qui a aujourd’hui le temps, les ressources, la stabilité administrative et les compétences pour saisir une commission ou un juge ? Bien souvent, ce ne sont pas les ménages précarisés. Un exemple emblématique a d’ailleurs été largement relayé : celui d’un couple d’eurocrates à Etterbeek, bien informés et confortablement installés, ayant enclenché une procédure pour revoir leur loyer à la baisse. Ironique, quand la mesure était censée s’adresser à ceux qui peinent réellement à se loger.
Pire : cet afflux de demandes peu prioritaires risque à terme d’engorger la Commission, d'alourdir le traitement des dossiers légitimes, et de saturer un système judiciaire déjà sous pression.
Corriger des déséquilibres, oui. Mais pas au prix d’un double échec : un outil inefficace pour les plus fragiles et un signal négatif pour ceux qui veulent encore investir à Bruxelles.


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Léa Léonard 👩🏻‍💻

Léa Léonard 👩🏻‍💻

Spécialiste du décryptage immobilier en Belgique